Pas de soirée où la question ne soit abordée, parfois même par des interlocuteurs improbables, ceux qu’on n’imagine pas hors de France ne serait-ce que pour quelques jours de vacances.
Question non rhétorique. Les chiffres officiels de l’Alya sont constamment revus à la hausse. L’opération « barrière protectrice » qui a rappelé les dangers physiques que comporte la vie en Israël n’a pas entraîné la moindre annulation des départs. La paix est lointaine mais l’angoisse des mères à l’idée que leur fils devrait risquer sa vie à l’armée n’a pas contrebalancé les volontés de partir.
Il en est ainsi. Je comprends ceux qui s’en réjouissent, je comprends ceux qui le regrettent, je ne comprends pas ceux qui le critiquent.
L’histoire des Juifs est scandée d’expulsions. Depuis l’ère biblique jusqu’à l’ère contemporaine (Egypte et d’autres pays arabes), en passant au Moyen Age par l’Angleterre, la France et l’Espagne, des Juifs ont été chassés de leur pays de naissance. Elle est aussi scandée de fuites. Avant 1939, beaucoup de ceux qui ont voulu fuir l’antisémitisme n’ont pas pu le faire en raison des quotas d’immigration de la part des pays qui prétendaient que la « coupe était pleine » et dont le livre Blanc pour la Palestine fut un exemple. Mais le blocage était général: rappelons en 1938 la scandaleuse conférence d’Evian sur les réfugiés (à cette époque les termes de réfugiés et de Juifs étaient presque équivalents…..).
Aujourd’hui en France, il ne s’agit pas de fuite et moins encore d’expulsion. Ceux qui agitent ces termes présentent la France comme un pays où les antisémites font la loi et où les Juifs sont tous en danger physique. C’est faux. Les gouvernements précédents et le gouvernement actuel en particulier ont été d’une clarté absolue contre l’antisémitisme. Le problème, c’est qu’une démocratie ne sait pas gérer efficacement ses extrémistes, et que, même si les extrémistes restent très minoritaires au sein d’une communauté, les grands mouvements de l’histoire ont toujours été effectués par des minoritaires auxquels la majorité s’est soumise par routine, peur ou complaisance. Or l’impact de cet extrémisme grandit.
« Parfois » ne signifie pas «toujours» et ne signifie pas «partout». Nous connaissons trop les amalgames pour ne pas nous en faire les propagateurs. Mais évidemment, « parfois » ne signifie pas « jamais » et ne signifie pas «nulle part» , comme semble le dire dans son hallucinant discours M. Mélenchon qui félicite les « jeunes » pour leur dignité pendant les manifestations «pour» Gaza. Il n’a apparemment pas entendu parler de Sarcelles, ni de la synagogue de la Roquette……
Décider de l’Alya c’est se déterminer sur la combinaison d’un symptôme et d’une espérance. Le symptôme est qu’on ressent le présent comme pénible et/ou l’avenir comme sombre. L’espérance (ha tikva) est qu’on pense qu’en Israël la vie prendra un sens plus cohérent. Si le symptôme est lancinant mais l’espérance insuffisante, l’Alya n’aura pas lieu: le départ se fera vers Londres, Miami, Montréal ou Bruxelles. En tant que militants nous devons lutter contre le symptôme et en même temps développer l’espérance. Il est absurde de casser le thermomètre pour éviter la fièvre, il est indigne de cacher son sionisme pour complaire au politiquement correct.
Le « symptôme » ne concerne pas que les Juifs et ne se limite pas à l’antisémitisme. Les perspectives économiques maussades y jouent un rôle majeur. Celui qui espère trouver des conditions professionnelles meilleures pour exprimer son potentiel peut changer de pays s’il le veut. Les Juifs comme les autres, c’est une liberté fondamentale.
Nul n’ignore les liens, à droite mais aussi parfois à gauche, entre visions économiques et antisémitisme moderne. Elles ont pris une nouvelle tournure.
Les belles idéologies communistes ont au XX e siècle conduit à Staline, Mao, Pol Pot, la dynastie des Kim et celle des Castro. Les utopies qui se disent révolutionnaires refusent aujourd’hui encore d’assumer la signification d’échecs aussi catastrophiques.Les handicaps structurels dont souffre la société française font l’objet d’un consensus qui déborde les clivages politiques. Mais les mêmes utopies le réfutent au nom d’un anti-capitalisme et d’un anti-impérialisme dogmatique qui se cristallisent en une hostilité obsessionnelle envers Israël, l’ennemi contre lequel il est bon de se mobiliser.
Entre l’idéologie marxiste et l’obsession anti-israélienne, un lien commun, le déni de réalité. Il gomme la recherche des faits au bénéfice de l’idéologie présélectionnée. Il déborde malheureusement le secteur de l’extrême gauche à qui il donne une influence « disproportionnée » grâce à la nostalgie pour les utopies de jeunesse dans une France des intellectuels qui choisit continuellement Sartre contre Aron. J’en fus.
Qu’ils habitent dans les beaux quartiers ou dans les banlieues difficiles, beaucoup de juifs ne supportent plus d’être mis en accusation pour leur soutien à Israël, sans que leurs arguments reçoivent de considération. Ils ne supportent plus d’entendre les amalgames entre Israël et les nazis, entre les militaires israéliens d’origine française et les musulmans français partis au djihad, ils ne supportent plus de ne pas entendre la vérité sur les manipulations des images et les menaces envers les journalistes qui cherchent à informer de façon neutre. Ils ne supportent plus que Yoav, Elad et Hadas Fogel, assassinés à 11 ans, 4 ans et 3 mois aient été qualifiés de colons. Ils ne supportent pas d’être traités de suppôts de Belzebuth s’ils ne marchent pas dans la direction assignée. Ils ne supportent plus les contorsions pour ne pas qualifier d’antisémite le comportement de certains élèves de ces territoires de la République dont on sait depuis douze ans qu’ils ont été perdus sans qu’on paraisse espérer les retrouver. Certains aussi ne supportent pas d’avoir la peur au ventre quand ils entrent dans le métro avec une kippa sur la tête ou quand leur enfant doit traverser des rues « difficiles ». Les Juifs enfin ne supportent plus l’idée que le parti d’extrême droite dont le Président d’honneur fondateur est un antisémite virulent puisse, avec un programme économique indigent, apparaître comme un recours.
Ils ne supportent plus qu’on fasse du conflit israélo-palestinien la mère de tous les problèmes et qu’on ne veuille pas voir le monde d’aujourd’hui comme il est: un Islam radical en pleine expansion, tétanisant ses adversaires quand il ne les égorge pas, un Iran inchangé, quasi-nucléaire, dont on cherchera à se faire un allié, un Hamas lié aux uns comme aux autres, que certains font passer pour un mouvement modéré en haussant les épaules sur ce désagréable article 7 de la charte qui enjoint l’extermination des Juifs. J’en passe…….
Alors beaucoup d’entre eux vont en Israël, car ils aiment ce pays, son symbole et ses réalisations. Ils vont aussi en Israël parce qu’ils ont peur que leurs enfants deviennent dhimmis. Ils ne fuient pas. Au triptyque républicain, les Juifs, par leur histoire, doivent adjoindre la lucidité. Ici ou là-bas les ennemis sont identiques, et le combat est difficile. Mais pour nous tous, il vaut la peine de le mener.
(texte publié en partie dans actu J du 4 sept 2014)
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