Découvrez ou redécouvrez également le discours du Dr Richard Prasquier :

Chers amis,

L’histoire se déroule dans la Pologne communiste des années 60, disons aux usines Ursus, Andrzej Kowalski, ouvrier et militant communiste est convoqué chez le chef de la section communiste pour y recevoir une sévère réprimande. « Camarade Kowalski, je suis très en colère contre toi, comme se fait-il que tu étais absent à la dernière réunion de la cellule du parti ? ». Kowalski essaye de se justifier. « Excuse-moi, camarade Secrétaire, si j’avais su que c’était la dernière réunion du parti, bien sûr que je serais venu….. ».

Je voudrais  vous rassurer, le camarade Kowalski ne fait pas parti des invités, le Keren Hayessod n’a rien à voir avec le Parti communiste, ce n’est pas sa dernière soirée,  ce n’est pas non plus la dernière soirée, je l’espère, de Richard Prasquier qui quitte la Présidence, mais pas le Keren Hayessod lui-même.

Je pense que le possibilité pour le Président d’une association de transmettre le relais dans de bonnes conditions, en étant assuré de la qualité de ceux qui lui succèderont est un privilège à savourer. Je suis absolument certain que Judith Oks et Dan Serfaty forment un tandem idéal pour pousser le Keren Hayessod France vers de nouveaux horizons. The right woman and the right man in the right place at the right time. Judith, j’ai appris à te connaitre depuis les premières journées du Keren Hayessod France, ton intelligence et ta connaissance des hommes, des femmes et des situations, ton engagement sans limite pour Israël, ton énergie pour faire un travail de militant, aussi rébarbatif soit-il, ta gentillesse et enfin ton charme, aussi, ce sont-là des atouts inestimables pour notre association. Quant à Dan, dont les succès dans le monde des nouvelles technologies sont impressionnants, et dont l’implication dans le judaïsme qui date de l’enfance et se renforce continuellement, il viendra apporter cette connaissance intime de ce nouveau monde de l’engagement juif, de la collecte et des échanges qui transformera mes réserves, mes ignorances et mes négligences, à moi qui, comme le rappelle souvent mon épouse, suis de la génération BBC (born before computers). Tu as en plus, Dan, ce don rare d’éveiller la sympathie au premier regard, aux premières paroles, au premier sourire.

Behastlaha à vous deux. Et si je puis vous aider, n’hésitez pas.

J’ai d’autant moins d’inquiétude que vous allez profiter d’un réseau de volontaires de grande qualité, parmi lesquels vous me permettrez de citer Rebecca Jacquin, présidente de la section féminine, et récente, toute récente, mère d’une nouvelle petite fille et venue entre deux têtées. Volontaires travaillant ici, mes amis de Paris, mais aussi en dehors, les Présidents régionaux du Keren Hayessod France et leurs équipes  Alain Sebban et Thierry Toubiana  à Lyon, Jérôme Lévi à Strasbourg, Gislaine Laloum à Marseille, Géraldine Zarmati et Thierry Teboul à Nice , que je salue amicalement.

Mais le travail quotidien d’une association comme la nôtre repose en grande partie sur les professionnels. J’ai eu un énorme plaisir à travailler avec eux : le terme de professionnels ne recouvre qu’une moitié de leurs qualités : leur investissement militant envers Israël est tout aussi impressionnant. Ils ont été menés par une suite de Directeurs généraux remarquables, Allon Lev, le légendaire Directeur de la création du Keren Hayessod France, puis Yoan Smadja et maintenant Amir Lapid qui accomplit un travail exceptionnel.

Et puis, il y a aussi le Keren Hayessod mondial, auprès duquel nous avons trouvé continuellement soutien, intelligence et ouverture d’esprit, notamment dans les difficiles décisions à prendre dans les débuts de l’association, qui furent difficiles. Ses nouveaux dirigeants nous font l’honneur d’être présents, Sam Grundwerg est un grand professionnel, qui a été Directeur Général du Congrès Juif Mondial pour Israël et Consul Général à Los Angeles; il vient de Miami. Oui, il n’y a pas seulement une Alyah vers Miami.

Quant à Steven Lowy, il  est Australien et il me permettra de parler de son père avec qui il prendra bientôt la parole à Zurich. Frank Lowy avait quinze ans à sa sortie d’Auschwitz. Il avait vu son propre père battu à mort par les Allemands pour avoir refusé d’abandonner son talith et ses tefilinn. Après Auschwitz, Frank Lowy a combattu avec la brigade Golani au cours de la guerre d’indépendance d’Israël, puis est allé en Australie où il devenu l’un des hommes les plus riches du pays. C’est lui qui a donné le train de transport des Hongrois que l’on voit sur la rampe de Birkenau.Voici ce qu’est devenu un orphelin lancé seul dans la vie à 15 ans après avoir subi l’enfer d’Auschwitz; en cette journée qui marque le 75e anniversaire de la libération des camps, il est une extraordinaire illustration de la 614e mitzva de Emile Fackenheim : ne donner à Hitler aucune victoire posthume.

Lorsque, peu de temps après que j’ai quitté le Crif, Avi Pazner, ancien Président du Keren Hayessod, m’a proposé la présidence d’une nouvelle association, j’ai hésité avant d’accepter car je savais que j’allais entrer dans un désagréable conflit intra-communautaire, à la suite de la rupture entre le Fonds Social et le Keren Hayessod. Puis je me suis documenté, j’ai réfléchi et j’ai accepté. Cela m’a valu des moments très pénibles, mais l’évolution m’a confirmé le bien-fondé de ma décision.

J’ai accepté alors que, chacun le sait, je suis une brèle en matière de collecte de dons. J’ai accepté, non seulement parce que je me suis rendu compte de la validité de la position du Keren Hayessod mais parce que la logique de mon engagement était claire : j’avais eu l’honneur de présider pendant plusieurs années les Bonds d’Israël , puis le Mémorial Yad Vashem d’Israël. Lorsque je suis devenu Président du Crif, et je salue une nouvelle fois mon ami et successeur Francis Kalifat, qui en était alors le valeureux trésorier, l’axe de mon engagement était simple : je suis citoyen français, totalement français et je suis en même temps (ce n’était pas encore à la mode…) un membre du peuple juif. Or aucune organisation autre que le Keren Hayessod ne me permettait de concilier aussi bien cette double identité. Le Keren Hayessod  a été fondé pour organiser les infrastructures de ce Foyer National Juif promis par la Conférence de San Remo, il y a exactement cent ans cette année. De ce fait, il n’y a pas de ville israélienne qui n’ait pas bénéficié de ses apports, pas d’établissement universitaire d’avant l’indépendance auquel il n’ait pas contribué. Depuis les usines de la Mer Morte à l’Orchestre philharmonique d’Israel, la main du Keren Hayessod se trouve partout. Mais lorsque il s’est agi d’aider les Juifs de la diaspora, le Keren Hayessod, bras financier de l’Agence Juive, son partenaire privilégié était là également, hier comme aujourd’hui. Lorsqu’il s’agit de renforcer la justice sociale en Israël en donnant aux enfants les plus déshérités leur chance, en préservant aux plus âgés leur dignité, aux jeunes leur enthousiasme humanitaire, et aux plus handicapés leur humanité, les organisations soutenues par le Keren Hayessod, comme les villages d’enfants, Pothim Atid, NetA, Amigour, Ten, Alé et les centres d’intégration pour éthiopiens sont sur le terrain. Et lorsqu’il s’agit d’aider les étudiants français à se frotter à des programmes israéliens d’excellence Massa a acquis une célébrité méritée.

Ce constant échange entre le centre israélien et les pays de la diaspora est  la spécificité du Keren Hayessod. Il est présent dans 47 pays : quarante sept pays où nous savons que la communauté juive, aussi minuscule soit-elle, va discuter des mêmes programmes et partagera les mêmes succès et les mêmes angoisses.

Parmi ces angoisses, l’antisémitisme est revenu en flèche au premier rang de nos préoccupations, il a brisé nos espoirs et a réveillé nos inquiétudes. Les fils de ceux qui criaient « sales Juifs retournez chez vous » , crient aujourd’hui « sales sionistes, partez d’où vous êtes ». Et ils ajoutent parfois, s’il n’y avait pas Israël, nous n’aurions aucun problème avec les Juifs. Mais nous devons nous souvenir des leçons terribles de l’histoire. Elles nous disent  très clairement que la solidité d’Israël est le meilleur rempart pour les Juifs du monde, car les autres promesses peuvent faillir à l’instant du danger.

Tout cela pour vous dire que si je quitte la Présidence du Keren Hayessod, je ne compte pas me détacher de mon engagement pour les causes qui m’ont marqué. Certes, j’y ajouterai un peu plus d’activité dans cette lutte individuelle contre le vieillissement que nous pouvons aujourd’hui mener avec un peu plus de moyens que nos prédécesseurs. J’espère y garder le plus longtemps possible ma curiosité, une arme utile. Merci à ceux qui m’ont permis de revenir vers le piano que j’avais abandonné depuis une quarantaine d’années. Mes ambitions se limitent à travailler et faire de petits progrès, et c’est finalement un objectif très valorisant. Merci à toi Anne, au-delà des laborieuses tentatives du vieux débutant que je suis encore, nous a confirmé par ce magnifique concert du quatuor de France que la musique est la plus extraordinaire invention humaine.

Le chemin qui me reste n’aurait plus de sens s’il n’était accompagné tout au long de ma famille, ce don merveilleux que m’a fait mon extraordinaire épouse. Tu m’as rappelé quand j’ai quitté le Crif qu’il n’était pas question de paresser à la maison, car si nous étions mariés pour le meilleur et pour le pire, nous ne l’étions pas pour le déjeuner. J’ai suivi tes conseils comme je le fais presque toujours. Mais j’espère, toi au jardin et moi dans mes livres ou sur mon piano ou dans mes réunions disparates, que nous continuerons notre route aussi longtemps que possible en nous enrichissant mutuellement de notre amour et de nos différences.

Richard Prasquier