Le Dr. Richard Prasquier, cardiologue, président d’honneur du Keren Hayessod et du CRIF, nous propose une réflexion originale sur un médicament controversé : la Chloroquine. Article paru dans la newsletter de l’AMIF.

Pour éviter l’état de sidération où la population risquait de tomber en raison du confinement, rien ne valait une polémique. Le Professeur Didier Raoult nous l’a offerte et a réveillé le virologue qui somnolait en chaque français. Aujourd’hui Rockstar de réputation mondiale, nouveau prophète pour certains, quasi délinquant pour d’autres, il est sur une route étroite. Elle peut le conduire au Capitole ou à la Roche Tarpéienne, il peut devenir Pasteur ou Luc Montagnier, Prix Nobel pour sa découverte du VIH, aujourd’hui décrié par l’ensemble du monde scientifique pour ses positions iconoclastes. Dire de Didier Raoult qu’il est un virologiste « réputé » est une litote. Il a découvert avec son équipe en 2003 les premiers virus géants (girus), un champ de recherches qui a depuis lors bouleversé la virologie. Il ne se prive pas de souligner qu’il est un des virologistes (voire « le » virologiste) les plus cités au monde. Personne ne peut mettre en doute sa compétence. Personne  ne peut mettre en doute son talent médiatique. Peu mettent en doute la force de son ego.

Chacun est une cible, il n’y a  pas de vaccin, la contagiosité est considérable. La fameuse patiente n° 32 de Corée du Sud, supercontaminatrice, a infecté des centaines de personnes , et est  peut-être dépassée par une participante de la réunion évangéliste de Mulhouse. Le pouvoir pathogène est extraordinairement variable (par quel mécanisme?) : chez la plupart la contamination sera asymptomatique, mais certains se retrouveront en quelques minutes en détresse respiratoire et ne seront sauvés qu’au prix de plusieurs semaines de réanimation lourde: pas étonnant qu’un traitement suscite tant d’espoirs……

 Chloroquine (connue depuis 1934, et prise depuis 1947 par des dizaines de millions de personnes en prévention et parfois en traitement du paludisme) ou hydroxychloroquine (son dérivé un peu moins actif à dose égale, mais considéré comme encore plus sûr et utilisé quotidiennement (lupus, polyarthrite rhumatoïde) pour ses effets anti-inflammatoires ? Il n’importe; une seule question: la prescription est-elle justifiée en cas d’atteinte de coronavirus ? Le gouvernement a pour l’instant tranché, après avis du Haut Conseil de Santé Publique, autorisation uniquement hospitalière, et sur décision collégiale médicale, sans indication officielle, et probablement à un moment de l’évolution de la maladie que irritera le Pr Raoult. 

On attend les résultats de l’essai Discovery, qui a débuté le 22 mars et qui doit inclure 3200 patients en Europe dont 800 en France. C’est un essai randomisé qui comparera quatre traitements: le lopinavir-ritonavir, dérivé de la recherche sur le VIH (qui pâtit des résultats négatifs d’une toute récente et remarquable étude chinoise sur des patients graves), l’interféron bêta, le remdesivir (un médicament développé contre le virus Ebola, qui parviendrait à se faufiler à l’intérieur de l’hélice l’ARN viral et à empêcher sa réplication) et enfin l’hydroxychloroquine, ce produit que Donald Trump a qualifié de médicament miracle, ce qui, compte tenu de la réputation médicale du Président américain, a probablement augmenté la suspicion à son encontre dans les milieux professionnels. Premiers résultats dans 15 jours, nous promet-on. Mais ce sont les quinze jours où en France la mortalité sera à son pic…..

Comme la plupart des médecins cliniciens, mes connaissances en pathologie virale sont très fragmentaires. J’ai été chef de clinique en réanimation infectieuse à Claude Bernard, il y a près de cinquante ans. J’y avais vu deux cas de rage, guéris après usage, entre autres, de vaccin antirabique. Il n’y a guère d’autre maladie virale que la rage qui puisse être guérie par vaccinothérapie thérapeutique. Pasteur ne le savait pas, et beaucoup de gens aujourd’hui ne le savent pas non plus, qui réclament en « urgence » un vaccin contre le coronavirus.

A cette époque, on connaissait très bien la chloroquine, complément indispensable à tout voyage exotique. Elle était active (elle l’est beaucoup moins…) contre le plasmodium. Comment ? On n’en avait pas la moindre idée. Et pourtant c’est à cette époque lointaine (1972) que remonte un article japonais (le plus ancien, je pense), montrant l’effet inhibiteur sur la synthèse d’ARN viral de la chloroquine sur des lignées cellulaires infectées par différents virus (Yoshinobu Shilizu et col, Archiv fût die gesamte Virusforschung)

 Didier Raoult passait alors son baccalauréat…Il n’est pas, et ne prétend pas l’être, le « découvreur » de la chloroquine.

Quelques années plus tard, on envisageait un mécanisme d’action pour la chloroquine. Les agresseurs intra-cellulaires qui pénètrent la cellule par l’intermédiaire des endosomes ont besoin d’un milieu acide intravésiculaire pour être libérés dans le cytoplasme et entreprendre (pour certains virus comme le coronavirus) leur réplication. Cela rapproche ces virus de certaines bactéries intra-cellulaires, notamment des rickettsies ou du très proche agent de la fièvre Q, Coxiella burneti. La chloroquine, qui est une base faible est largement ionisée dans cette ambiance acide et interfère donc avec la phase de libération virale. Le Professeur Didier Raoult, spécialiste mondial des rickettsies, en lien avec l’Afrique depuis son enfance, est particulièrement habitué à la chloroquine, dont il vante l’innocuité.

En 2003, au décours de l’épidémie de Sras (novembre 2002-juillet 2003), dû à une nouvelle forme de bêtacoronavirus (très proche du Covid) une équipe italienne (Savarino et col. Effects of chloroquine on viral infections : an old  drug against to-day’s diseases?) publie dans le Lancet le premier article suggérant l’intérêt de la chloroquine sur ce virus  au regard de ce qu’on connaissait de son métabolisme. Des résultats in vitro se montrent prometteurs, mais l’épidémie de Sras n’a guère été ressentie dans une Europe qui trouve normal que les maladies nouvelles et bizarres se développent en dehors d’elle et ne pense plus à cette famille de virus qui donnent plutôt un rhume. L’intérêt se porte surtout sur le VIH : c’est un échec complet, et une suspicion d’aggravation. Même insuccès clinique dans le Chikungunya, la dengue, Ebola et le virus grippal. Ce qui explique le scepticisme de certains virologues, qui considèrent que les études in vitro ne sont pas suffisantes.

En ce qui concerne les coronavirus, les recherches se poursuivent donc mollement. Une fois le Sras jugulé (800 morts environ sur 8000 personnes atteintes) et malgré l’apparition d’une variante (Mers) en 2012, concentrée sur la péninsule arabe), la pathologie humaine des coronavirus se limite au rhume. On les néglige donc un peu (sauf peut-être en Chine et en Corée du Sud, qui ont été plus impactées par le Sras) même si on sait que les zoonoses sont un des grands dangers épidémiques de notre époque. Ces virus sont difficiles à étudier et ils contiennent tellement de variants…. Pas de lignée animale, pas de culture en tissu fiables. Compliqué pour analyser une action thérapeutique…

La mutabilité de cette famille est manifeste maintenant que les capacités d’analyse génétique se sont extraordinairement développées : le génome du SARS-CoV-2, officiellement l’agent de la maladie appelée Covid, a été édité très vite (bien plus vite que celui du Sras) et il est possible que certaines des mutations qui n’ont pas manqué de survenir depuis lors fassent varier ponctuellement sa virulence. A partir peut-être d’un réservoir initial sur la chauve-souris, on peut tracer des arbres phylogénétiques des nombreux coronavirus du règne animal.   Ils peuvent franchir la barrière d’espèce après certaines mutations, notamment probablement celles qui impliquent cette partie de l’enveloppe virale qui permet la fixation sur un molécule de l’hôte qui jouera dès lors le rôle de récepteur : cette zone très stratégique est une partie de la protéine S (pour « spike »): la photographie d’une coupe de ces virus entourés de leurs spicules évoque une couronne et donne son nom à la famille. C’est sur une forme récemment découverte (dite 2) de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 1, que connaissent bien les spécialistes en Hypertension artérielle et les cardiologues, grâce à l’utilisation des inhibiteurs qui empêchent la production d’Angiotensine 2 active, mais aussi la dégradation de la Bradykinine. C’est sur ce nouvel enzyme de conversion présent en quantité dans les alvéoles pulmonaires, que se fixe l’agent du Covid 19. L’affinité spécifique d’un virus donné sur une molécule de récepteur donnée avec sa spécificité génétique ou épigénétique particulière jouent peut-être un rôle dans la toxicité différente de la maladie d’un patient à l’autre, et peut-être dans la sensibilité variable avec l’âge : mais c’est toute la chaine biochimique qu’il faudrait explorer et nous n’en avons pas encore les moyens. En tout cas, malgré la prévalence importante de HTA dans les formes graves, il ne semble pas que le traitement, si courant, des malades par les inhibiteurs de l’angiotensine 2 ou de l’enzyme de conversion de l’Angiotensine 1 jouent un rôle dans le pronostic, d’après les recommandations du Collège Américain de Cardiologie : soulagement pour les cardiologues…

Les marchés d’animaux, caractéristiques de la Chine, seul endroit où un pangolin peut rencontrer une chauve-souris et échanger quelques virus avec elle, sont évidemment par leur promiscuité un lieu propice au brassage génétique et aux zoonoses, ce danger infectieux de notre monde d’entassements, de voyages (trois fois plus de voyages dans le monde qu’en 2003) ou de rencontres saugrenues. Mais il ne sont pas les seuls: HIV, Ebola et MERS ne se sont pas développés sur les marché chinois. En tout cas, les expériences des années passées faisaient redouter à bien des spécialistes l’apparition d’une endémie catastrophique. Nous y sommes et la Conférence Ted de Bill Gates en 2015, à la suite de son expérience de l’épidémie d’Ebola, avait des accents qu’on peut qualifier aujourd’hui de prophétiques. Mais la nature humaine est ainsi faite qu’elle néglige la possibilité des « cygnes noirs », événements rares, parfois catastrophiques, mais dont on sait pourtant qu’ils se produiront un jour ou l’autre…Après moi le déluge…Au vu de l’incompréhensible disparition des stocks de masques en France, depuis quelques années, pour des motifs budgétaires, on mesure comme les politiques peuvent aussi avoir le nez dans le guidon….

Pour en revenir à l’hydroxychloroquine, le Professeur Raoult avait dès le 25 février, annoncé  son efficacité très probable. Il s’appuyait sur son expérience, sur la logique biologique, sur les résultats in vitro et sur les recommandations du gouvernement chinois, suivant lequel un consensus s’était créé chez les professionnels pour prescrire de l’hydroxychloroquine. 

Les Décodeurs du Monde avaient mis sur le compte des « fake news », non pas tant son hypothèse thérapeutique que sa déclaration (qu’on peut effectivement qualifier au mieux de prématurée) suivant laquelle pour l’épidémie c’était de ce fait une « fin de partie ». En ce qui me concerne, connaissant la réputation du Professeur Raoult, je n’ai pas hésité à prescrire l’hydroxychloroquine quand, autour de moi, est survenu un cas très vraisemblable et fortement symptomatique de Covid 19. Tout s’est très bien passé, mais je ne dirai certainement pas que j’ai ainsi « guéri » la patiente, dans une maladie où heureusement, la plupart des cas guérissent spontanément…

Dans une vidéo mise en ligne le 16 mars, suivie le 20 mars d’une publication dans une revue de microbiologie dont son équipe contrôle le comité éditorial, Didier Raoult et ses collaborateurs donnaient les résultats d’une étude ouverte effectuée entre le 1er et le 16 mars, qui a été au centre d’une polémique. Chacun, comme il est d’usage aujourd’hui, peut décider s’il « aime» ou non le Professeur Raoult et les arguments pour ou contre ne sont évidemment pas uniquement scientifiques. Nous voudrions tellement qu’il ait raison !

L’analyse de l’article a été faite dans le détail. La méthodologie a été largement commentée et souvent critiquée: c’est un essai ouvert, absolument pas randomisé, dont le but est de rechercher tous les jours, mais pas toujours tous les jours, le coronavirus dans le naso-pharynx, aussi bien chez les patients du Centre de Marseille recevant 600 mg quotidiens d’hydroxychloroquine (et habituellement aussi l’azithromycine quand ils ont des signes d’atteinte respiratoire basse)  et les autres suivis dans les services hospitaliers de la région qui ne reçoivent pas de traitement spécifique. La comparaison des prélèvements est analysée au 6e jour de l’hospitalisation. Les patients de Marseille sont souvent plus sérieusement atteints, les autres étant souvent asymptomatiques et plus jeunes dans l’ensemble. Il y a bien des bizarreries dans l’étude : on écarte les enfants de moins de 12 ans dans le protocole, mais il y a deux enfants de 10 ans dans l’étude, les fautes de syntaxe anglaise ne sont pas rares dans l’article, les résultats des prélèvements ne sont pas toujours concordants. Enfin, 6 patients de Marseille (et aucun des autres centres) sont sortis de l’étude dont trois pour passage en réanimation, un pour décès, avec deux drops out….Il ne reste que 20 patients traités et 16 patients non traités. Bien entendu, les conditions de l’urgence thérapeutique peuvent expliquer le désir de publier aussi vite que possible, même sur une cohorte de patients très réduite, ainsi que le protocole qui est à peu près le contraire de celui d’un essai clinique organisé (alors qu’à cette époque il n’y avait pas à Marseille de situation dramatique en matière d’épidémie de coronavirus). De plus, les spécialistes regrettent de ne pas avoir eu accès aux donnés individualisées des patients aussi bien cliniques que virologiques.  Et la cohorte de patients est très peu importante. 

Mais les résultats sont frappants : la charge virale à J6 est considérablement plus faible après prise d’hydroxychloroquine(12,5%) en particulier avec l’azithromycine, que sans traitement (70%). Aucun biais de population ne peut expliquer à lui seul cette différence : les patients de Marseille sont plutôt plus âgés que les autres. 

C’est peut-être là précisément pourquoi il faut, paradoxalement, raison garder. Car il faut rappeler ce que cherche ce travail : à montrer qu’il y a moins de virus dans le nasopharynx quand on prend de l’hydroxychloroquine. Mais, outre les difficultés et les imprécisions qui peuvent exister dans cette mesure elle-même, quelle est la signification de ce résultat ? Il semble bien que chez certains patients très graves, la charge virale dans le nasopharynx n’ait plus rien à voir avec la sévérité de la maladie. Celle-ci est devenue une maladie pulmonaire autonome dont l’intensité est liée probablement non seulement à la virulence de l’attaque virale, mais peut-être aussi au type de réaction de l’organisme. Il n’est pas théoriquement exclu par exemple que la chloroquine en gênant le fonctionnement des hydrolases  qui permettent la libération du virus dans le cytoplasme, (mais dont le rôle primitif n’est certainement pas de favoriser la pénétration des virus) ou par son effet immuno-modulateur entraine par contre-réaction par exemple une sécrétion plus intense de ces hydrolases ou une réaction immunologique exagérée: c’est pourquoi la question de sa toxicité peut se poser, même si on sait que normalement la chloroquine est extrêmement bien tolérée. Il en est de même pour ses effets nocifs connus qui sont souvent dépendants de la dose et de la durée d’exposition (par exemple la maculopathie) et ne devraient donc pas être retrouvés par un traitement bref. Mais qu’en est-il dans des conditions de réanimation et d’hypoxie ? De même pour les effets cardiaques. Ces questions ne sont pas résolues et la notion d’une aggravation possible soulevée dans certaines des indications virologiques de la chloroquine, comme on l’a suggéré dans d’autres maladies virales, doit être prise en compte.

Y a-t-il une étude clinique randomisée sur l’hydroxychloroquine dans le coronavirus ? Oui. Elle a été faite à l’Université de Zhejiang (la « Cambridge chinoise »), près de Shanghai. Elle est toute petite: 15 patients tout venants  sous traitement par 400 mg d’hydroxychloroquine pendant 5 jours et quinze patients sans traitement, avec un écouvillonnage pharyngé à J7: aucun bénéfice du médicament n’a été constaté.

L’étude toute récente de l’Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée porte sur 80 malades, également bénins à modérés, qui ont tous reçu l’association hydroychloroquine-azithromycine, (une fois de plus, il n’y a donc pas de groupe contrôle) et dont on analyse la charge virale et l’état clinique après 10 jours. Les auteurs concluent à une excellente efficacité du traitement : un seul patient décédé et un autre en soins intensifs, avec à J8 une négativation de la charge virale chez 90% des patients. 

On ne peut pas s’empêcher de penser que cette publication aggrave les insuffisances méthodologiques du précédent travail. A quoi, à qui comparer les patients de cette étude ? Certainement pas aux 191 patients hospitalisés de Wu Han publiés dans le Lancet de janvier 2020, dont 54 sont morts. Ce n’est pas les patients graves des hôpitaux del Wu Han débordés par la catastrophe sanitaire qu’on peut mettre en regard les personnes peu symptomatiques, assez jeunes au demeurant, présentées dans cette étude, suivies dans un Centre hospitalier de réputation internationale en fonctionnement à peu près normal. Et ce n’est pas à la durée de portage (jusqu’à 20 jours) retrouvée dans ces études anciennes de circulation virale diffuse qu’il faut comparer la négativation de la presque totalité des examens au 8e jour. C’est plutôt à la petite mais randomisée étude chinoise récente citée plus haut où, sans aucun traitement, la quasi-totalité des patients non traités n’ont plus de virus dans le pharynx à J7.

Voici ce que je perçois aujourd’hui, 29 mars 2020, à partir de ma recherche bibliographique, sans expérience personnelle sur le sujet. Je me suis excusé d’avoir prescrit auprès des miens d’un traitement d’hydroxychloroquine que j’estime aujourd’hui injustifié. Je considère que l’attitude des autorités est sage. Je continue d’espérer que le Professeur Raoult ait raison.

Je me sens désormais moins inconfortable devant ce dilemme qui est celui de tout soignant dans une étude de « non-infériorité ». Comment accepter une situation où ne pas donner un produit donnerait au mieux les mêmes chances cliniques que de ne rien faire ? Un médecin a déjà du mal à adhérer à une étude où d’éventuels avantages économiques (produit moins coûteux) ou pratiques (prises moins fréquentes) aboutiraient au mieux à une situation d’égalité, mais non d’amélioration, de résultats (non-infériorité), avec le risque de soins moins efficaces. Primum non nocere. Plus encore dans le dilemme de ne rien faire d’un côté et un traitement très connu, ancien, facile à fabriquer et à peu près dénué de risque (s’il est pris pendant un temps bref et si on en exclut de très rares cas particuliers). « Si ce n’est pas utile, ça ne peut pas faire de mal ». Et pour en être convaincus, les médecins que sont le Professeur Raoult et son équipe rejettent les injonctions d’études témoins, convaincus de posséder une thérapeutique utile, peut-être salvatrice, dans une période dramatique. Le serment d’Hippocrate avant les diktats scientistes. Il est évident aussi qu’une partie du public angoissé et à l’affut de dérivatifs pour exprimer ses colères, ses angoisses et ses soupçons fera du virologiste marseillais le Robin des Bois de l’épidémie. 

Cependant l’étude du dossier que j’ai essayé -y suis-je arrivé ?- de faire sans préjugés, en pensant plutôt contre moi-même, m’a conduit à penser qu’il n’est pas impossible que l’hydroxychloroquine soit inefficace et surtout qu’il n’est pas exclu qu’elle puisse parfois être dangereuse. Dès lors, ma restriction mentale à l’idée d’une « passivité de non-infériorité » disparait.

Finalement trois regrets :

1° Le premier est que cette divergence médicale qui s’est probablement envenimée chez les professionnels, comme cela est malheureusement fréquent, sur un fond de jeux de pouvoir, de jalousies et d’antipathies réciproques a fait perdre du temps et a compliqué l’adhésion des patients, en pleine connaissance de cause, aux études randomisées indispensables à un certain moment de l’infection virale. Il est assez triste, quelle que soit la situation d’urgence dans laquelle nos systèmes de santé ont été placés que dans une Europe disloquée les protocoles d’études médicamenteuses rigoureuses n’aient pas été mis en place plutôt.

2° Le deuxième est que les objectifs se soient mélangés. Le Covid pose sur le plan médical (je ne parle pas du plan économique, ni ces conséquences psycho-sociales du confinement) un problème d’organisation, un problème de prévention et un problème de soins. La place éventuelle de l’hydroxychloroquine dans les soins, comme des autres produits testés, sera mieux analysée à l’issue de cet essai Discovery, aussi tardif qu’il soit. Mais l’intérêt préventif de ce traitement (ou un autre) pour réduire la propagation de l’épidémie en diminuant le portage de personnes peu ou pas symptomatiques, et/ou la sensibilité à la maladie des personnes à risque ne le sera pas. Inutile d’insister sur son importance. La baisse spectaculaire à 48h de la présence de virus à la culture lors de la dernière étude de l’équipe du Pr Raoult ferait de l’association azithromycine-hydroxychloroquine un traitement préventif d’une importance fondamentale. Il n’est pas envisageable qu’elle soit prescrite en prévention à une population âgée (Ehpad) sans confirmation des résultats…

3° La troisième est de constater les graves insuffisances que la crise a mises au jour et que les citoyens ignoraient, pour la France et pour l’Europe : pénuries dans le système de santé (variables suivant les pays), absence d’une vision commune des risques, absence de solidarité (l’Italie ne l’oubliera pas, en plus de la crise des migrants…), absence de parole européenne. C’est la Corée du Sud et Singapour qui sont les vrais héros de cette crise qui va bien plus loin qu’une crise sanitaire. Nous sommes loin derrière, et nous devrons malheureusement accepter certaines limitations à l’intimité individuelle pour permettre une certaine forme de pistage numérique. Car les négligences ne font pas que nuire à soi-même : elles peuvent tuer autrui et sont socialement intolérables.

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