Plusieurs colloques préciseront cet automne sa place dans le monde catholique et dans le dialogue judéo-chrétien. Je n’envisageais pas d’écrire sur cet anniversaire, mais une réflexion de lecteur publiée dans un journal communautaire a blessé des membres de l’Amitié judéo-chrétienne et montre que les mémoires ne sont pas encore apaisées.
Non, la conversion de Aaron Lustiger n’a pas été exploitée par l’Eglise à des fins apologétiques. Elle n’a pas servi à convertir les Juifs ou humilier leur religion. Certains convertis ont laissé des balafres dans notre histoire mais Jean Marie Lustiger n’a rien à voir avec les tristes figures de Nicolas Donin, du brûlement du Talmud à Paris, ou de Pablo Christiani, de la disputation de Barcelone, ni avec les frères Ratisbonne au XIXe siècle, dont l’objectif était effectivement de convertir les Juifs.
Son souci ne fut pas de conduire les Juifs à Jésus, mais d’amener par Jésus les non-Juifs en déshérence religieuse vers le Dieu d’Israël. Ne pas comprendre cela, c’est négliger la transformation de l’Eglise catholique dont Nostra Aetate est le symbole.
Alors qu’on revenait de loin, les siècles de mépris, les persécutions, la synagogue aux yeux bandés, la théologie de la substitution, du « verus Israël », Jean Paul II parlait désormais des frères ainés dont l’Alliance n’a pas été révolue, et le cardinal Decourtray, pour être meilleur chrétien, demandait aux Juifs d’être pleinement Juifs.
Personne n’a signalé de cas de prosélytisme chez les Juifs par Mgr Lustiger. Rien, mais vraiment rien à voir avec les « Juifs pour Jésus », dont les objectifs de conversion sont avérés.
On peut comprendre la méfiance des Juifs à l’égard de cet évêque atypique. « Timeo Danaos et dona ferentes », écrivait Virgile, je crains les Grecs, même quand ils apportent des cadeaux. Mais la plupart des sonneurs d’alerte ont compris au fil du temps que le cardinal Lustiger n’était pas le cheval de Troie d’une machination en vue de faire disparaitre le judaisme.
Le grand rabbin Lau, survivant de la Shoah, avait eu des mots terribles lors de la visite du cardinal en Israël en 1995. Leur réconciliation eut lieu. J’en fus témoin.
Le judaisme est une religion du petit nombre, du « reste » des massacres et des conversions. C’est pourquoi celles-ci sont douloureusement ressenties. Ce fut le cas des parents Lustiger, aussi peu religieux qu’ils fussent, quand leur fils de 14 ans leur annonça sa décision.
Celle-ci, qui relève de l’intime et n’a pas à être jugée, n’a pas empêché plus tard les traques, qui étaient raciales. L’assassinat de sa mère à Auschwitz a laissé une blessure béante, et il parlait avec émotion de sa jeunesse juive.
A sa volonté identitaire, spectaculairement exprimée au cours de ses obsèques, certains ont rétorqué qu’un triangle n’avait pas quatre côtés et qu’un chrétien ne pouvait être juif. Mais si l’apostasie est pour l’orthodoxie un péché, elle n’est pas forcément motif d’exclusion de la Knesset Israel, dès lors que persistent des liens spirituels.
Certes, à Oswald Rufeisen, héros de la Shoah, puis converti en Père Daniel, la Cour Suprême refusa la nationalité israélienne par droit au retour, mais cette décision est d’ordre civil. Lustiger considérait qu’il faisait toujours partie du peuple juif. Je ne sais qu’en penser.
Mais ce que je sais, c’est que, Carmel d’Auschwitz, lutte contre l’antisémitisme, dignité du judaisme, défense de l’Etat d’Israël, il a toujours été présent et la visite faite par le Premier Ministre israélien à son tombeau ne me parait donc nullement choquante.
Le cardinal a renforcé des ponts, nous avons mieux à faire, surtout dans la difficile conjoncture actuelle, qu’à les détruire dans le fantasme que ces ponts pourraient être des hameçons pour nous appâter.
Richard Prasquier
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