Antoine Gallimard a donc « suspendu » la réédition des pamphlets de Céline. Dont acte. Lui qui avait en 2011 déclaré que pour faire son métier, il fallait aimer les livres et les auteurs, et avoir envie « de les faire aimer », écrivait il y a peu de ces pamphlets qu’on avait « connu bien pire ».  Les a-t-il vraiment lus ? Car ce ne sont pas des « écrits polémiques » titre scandaleusement aseptisé, mais des brûlots de haine et par endroits des appels au meurtre de masse.

En quelques clics chacun peut lire les pamphlets de Céline. Il en coûtera le prix des médicaments sédatifs pour supporter leur lecture. En 2012, sous la direction d’un universitaire insoupçonnable au plan de l’antisémitisme mais non historien, une édition critique a été publiée au Canada : un livre y tombe dans le domaine public après 50 ans (70 en France) ce qui écarte alors le « préjudice moral » des ayants droit, lequel a empêché la publication des pamphlets en France car la veuve de Céline s’y refusait. Or, à 105 ans, elle aurait changé d’avis…

Pourquoi la décision de publier ces textes ? Parce qu’il faut lutter contre les « éditions pirates » ? Mais attribuer à ces pamphlets l’estampille Gallimard, c’est leur accorder un label de légitimité.  Parce que, comme le dit l’avocat de Mme Céline, le temps est à l’apaisement en matière d’antisémitisme ? Que voilà un scoop mensonger ! Parce que les « jeunes des banlieues » ne lisent pas Céline ? Mais les « autres » y trouveront un arsenal plus que nauséabond.  Parce qu’on a publié Mein Kampf en Allemagne ? Mais les cent mille acheteurs ne l’ont pas acquis uniquement pour profiter de son remarquable appareil critique.  Parce qu’on a aussi réédité les Décombres de Rebatet ? Mais ce livre, publié avec soin, n’a jamais été pris pour un monument littéraire. Parce que cela permet de voir que ces pamphlets sont à peu près illisibles et contribuer à la mise à bas du mythe Céline ? Mais cette confiance dans le lecteur est constamment démentie par les faits.

Au moins, un environnement critique était-il espéré, mais il semble que celui qui a été prévu était assez « léger » et plutôt littéraire. Or depuis 2012, la connaissance de l’individu Céline a beaucoup progressé. PA Taguieff et A. Duraffour en ont tracé une image accablante, agent d’influence nazi, antijuif fanatique, dénonciateur, lâche, âpre au gain, faux humaniste, faux pacifiste, faux médecin des pauvres, constructeur d’une auto-légende victimaire. Une crapule qui aurait mérité le peloton d’exécution. Des célinolâtres ont essayé en 2011 de le mettre au rang des gloires nationales. Président du Crif à l’époque, j’avais écrit pour m’indigner. C’est dire si j’approuve la position du Crif d’aujourd’hui.

Après Bagatelles pour un Massacre, Robert Brasillach, fusillé à la Libération, écrivait ceci en janvier 1938 :  « Pour ma part, qui ne suis ni admirateur forcené de M. Céline, …ni même terriblement passionné d’antisémitisme (sic), je dois dire que tout d’abord, je me suis royalement amusé ».

Il disait juste. Dans le torrent verbal rabelaisien de Céline, il y a de quoi être emporté par le rire. Mais ce n’est pas le rire joyeux de Rabelais, c’est le ricanement mauvais du racisme et de la haine antisémite, le rire de la connivence entre l’élégant normalien Brasillach et le faux prolétaire Céline, celui de Dieudonné et de Soral. C’est un rire dangereux. On ne doit pas rire avec Céline.

Malheureusement le mal est fait : les bons esprits ont parlé de censure. Mais comment être angéliques quand les vents sont si mauvais ? Comment lutter contre les débordements sur Internet quand on autoriserait des monstruosités sous prétexte qu’elles furent écrites par un « grand écrivain » ? Il y a aussi ceux qui pensent que la décision de retrait est un cadeau à ceux qui prétendent que les Juifs dominent le monde. Mais l’appel au silence a servi de trappe à la mémoire et à la vérité. Ces temps ont passé. Merci à vous, les Klarsfeld.

Dr Richard Prasquier

Président du Keren Hayessod France

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