Leur photo a fait le tour du monde. On dit que le personnage en noir est un homme de paix qui  se consacre à l’étude religieuse, parle peu, vit modestement et jouit d’un respect exceptionnel. On croirait voir le maitre d’une lignée rabbinique.  Mais Ali Sistani, que certains qualifient de Pape des chiites, n’est évidemment ni Juif, ni Pape. Les fanatiques de Daech lui dénient d’ailleurs le titre de musulman et ne voient en lui qu’un hérétique à abattre.

Qui dit chiisme pense à l’Iran. Sistani y est né, comme ses prédécesseurs dans le titre de Marja suprême. Mais il vit  en Irak, à Nadjaf, près du tombeau du premier imam, Ali, gendre de Mahomet, le seul calife légitime pour les chiites. En Irak aussi se trouve Kerbela où son fils Hussein fut tué par le calife Omeyyade et Samarra où a disparu le douzième imam, le Mahdi dont on attend le retour. Si l’Iran n’est venu au chiisme que bien plus tard, au début du XVIe siècle, sa démographie et son activisme politique en font le parrain de l’Islam chiite auquel les Iraniens associent des groupes  comme les Alaouites en Syrie ou les houthis du Yemen. 

Quatre particularités du chiisme…

L’espérance messianique domine sa vision du monde, avec un aspect tragique absent du messianisme juif, car le souvenir de la mort de Hussein, le 10e jour du mois de Muharram, l’Ashoura, c’est aussi le rappel que les partisans qui avaient hésité à l’accompagner au combat ont lavé leur honte par un comportement de martyr, tuant les mécréants et se faisant tuer par eux.

L’occultation ne s’applique pas seulement à l’imam caché. Persécutés, les chiites ont dû mentir pour masquer leur foi : ce sont des experts de la taqiya. Sauf en Iran ou au Yemen, les chiites furent les plus faibles et les plus pauvres, agriculteurs de Mésopotamie, opprimés par les grands nomades chameliers ou serviteurs de maitres sunnites ou chrétiens au Liban.  Pas surprenant que les intellectuels marxistes aient fermé les yeux sur la théocratie en marche avec Khomeini pour ne voir que la lutte des classes dans la révolution iranienne. Ali Shariati, ami de Jean Paul Sartre et de Franz Fanon, traducteur de Che Guevara et fils de mollah, fut la première figure de l’islamo-gauchisme. 

Enfin, être un religieux chiite oblige à une réflexion sur  le pouvoir politique. Il est frappé d’illégitimité tant que l’imam de la Fin des Temps n’est pas revenu. Faut-il le mépriser, le négliger, quitte à s’en accommoder ? Ce fut l’attitude, dite quiétiste, d’Ali Sistani et de ses prédécesseurs. Ce ne fut pas celle de Khomeini qui enseignait que l’homme le plus proche de la vérité divine doit diriger la société, comme une sorte de vicaire de l’Imam caché. Ce gouvernement du docte, le Velayat al-Faqih, c’est une innovation doctrinale devenue la règle en Iran. Même si le guide Khomenei n’a pas de compétence théologique, le paquet de haines qu’il véhicule suffit pour une autocratie.

La ville de Nadjaf est aujourd’hui largement sous influence iranienne,  Exilé par le Shah, Khomeini y avait vécu pendant quinze ans et le prudent Ali Sistani n’a jamais publiquement dénoncé le Velayat al Faqih auquel il s’oppose pourtant.  Quand il faudra  trouver un successeur à cet homme de 91 ans, l’allégeance à l’Iran ne risque-t-elle pas de primer sur les appels à la fraternité universelle ?

Dr Richard Prasquier

Président d’honneur du Keren Hayessod France

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.