Six millions et demi d’Israéliens sont probablement allés aux urnes. A comparer aux 500 000 électeurs, 13 fois moins, de la Knesset de 1949.
En mars 2021, c’est la France qui aurait dû voter. Mais les régionales sont reportées en juin et peut-être au-delà si l’épidémie n’est pas contrôlée. 80% des Israéliens de plus de 18 ans ont été vaccinés. Le corona est déjà presque loin dans leur tête. Il a fait quatre morts en Israël samedi dernier.
Aussi majeurs que soient les succès d’Israël, un système qui convoque les électeurs quatre fois en deux ans – et peut-être bientôt cinq- interpelle.
Une cause de ce blocage est institutionnelle, c’est le scrutin proportionnel, l’autre est personnelle, c’est Benjamin Netanyahu.
Le type de scrutin est le seul à donner leur voix à tous les habitants d’un pays aux modes de vie et aux engagements disparates et souvent intensément vécus. Mais il oblige à une coalition et les représentants d’une niche électorale bien placée peuvent exercer une forme de chantage. Les ultra-orthodoxes bien sûr, aujourd’hui 12% de la population, mais d’autres petits partis peuvent aussi faire la différence. Certaines filières peuvent s’épuiser. Comme les enfants des Juifs ex-soviétiques se fondaient dans le mainstream israélien, Avigdor Liberman s’est reconverti, si l’on peut dire, en vigie contre l’exceptionnalisme haredi. Car les gens votent par indignation plus que par conviction, ce qui pousse à créer des contre-niches. Mais il faut se méfier de la réaction : ainsi l’agressivité de Liberman renforce la cohésion des religieux qui se sentent agressés. Inversement, écœurés par la vidéo qui assimile les Juifs non orthodoxes à des chiens, des électeurs laïcs tentés par l’abstention sont allés voter.
Depuis l’instauration d’un seuil progressivement élevé à 3,25% des voix, soit quatre députés, qui devait empêcher l’élection de personnalités aberrantes ou extrémistes, les rebonds du billard électoral sont devenus plus subtils, et certains joueurs sont meilleurs que d’autres. Si un parti n’atteint pas le seuil, ses électeurs se seront déplacés au profit de leurs adversaires. Entre des religieux sionistes débauchés de chez Bennet et des ultra-nationalistes , Bibi a favorisé une alliance qui peut dépasser la barre et serait pour lui un apport notable. Inversement, le dégoût de voir un kahaniste à la Knesset peut faire basculer contre Netanyahu. Dans un grand écart dont celui-ci a le secret, il a remplacé sa rhétorique anti-arabe, qui avait facilité en réaction la constitution d’une liste arabe unifiée, par un soutien au parti Islamique Raam, un improbable allié.
Le parti bleu et blanc s’est maintenu, mais s’il n’atteint pas la barre, ses voix seront stérilisées, ce qui fera aussi le bonheur de Benjamin Netanyahu, qui craignait que Ganz, dont il s’était joué de façon machiavélique, ne finisse par se désister.
Rien que Bibi, ou tout sauf Bibi? Ce n’est pas si simple non plus. Car s’il a fait le vide autour de lui, si certains de ses plus proches sont devenus ses ennemis virulents, si on lui reproche son comportement, ses complaisances avec les ultra-religieux, si on voit venir une société illibérale, pour utiliser le vocable à la mode, aux contre pouvoirs affaiblis et aux valeurs morales défaillantes, beaucoup d’Israéliens qui ne l’aiment pas reconnaissent en lui un professionnel. Sa ligne politique n’est guère en discussion, dans une société qui a en grande majorité fait le deuil des illusions et qui, dans un monde dangereux, préfère des alliances d’intérêt plutôt que d’émotion.
Le succès de la triade israélienne, armée, technologie, logistique, fait de l’ombre à une classe politique assez déconsidérée, d’où surnage la personnalité charismatique et clivante de Benjamin Netanyahu. Il reste le favori de cette élection. Mais n’a-t-il pas succombé à l’hubris qui guette les hommes trop confiants en leur habileté ?
Dr Richrad Prasquier
Président d’honneur du Keren Hayessod France