JE VEUX AIDER DE TOUTES MES FORCES CE PAYS DE MIRACLES ! Par Maud Tabachnik

MAUD TABACHNIK EST UNE ÉCRIVAINE FRANÇAISE QUI A PUBLIÉ DE TRÈS NOMBREUX OUVRAGES. SON OEUVRE SE SITUE À LA FRONTIÈRE DU ROMAN NOIR, DU THRILLER POLITIQUE, DU ROMAN POLICIER HISTORIQUE. SON DERNIER OUVRAGE : « L’IMPOSSIBLE DÉFINITION DU MAL » EST SORTI EN AVRIL 2017. MAUD TABACHNIK A DÉCIDÉ DE FAIRE UN LEGS AU KEREN HAYESSOD. ELLE EXPLIQUE SANS DÉTOURS CE QUI A MOTIVÉ CE GESTE GÉNÉREUX. C’EST L’HISTOIRE D’UNE FEMME QUI AIME PROFONDÉMENT ISRAËL, C’EST L’HISTOIRE D’UNE VIE QUI A TRAVERSÉ LA GRANDE HISTOIRE ET QUI VEUT Y PARTICIPER POUR L’ÉTERNITÉ… MAUD TABACHNICK NOUS OFFRE UN TEXTE MAGNIFIQUE QUI NOUS RAPPELLE CE QU’EST LE PEUPLE JUIF.

J’avais la moitié de mon âge actuel quand j’ai rédigé mon premier testament. Et il était déjà en faveur d’Israël. Pourquoi ? Pourquoi, devez-vous penser, s’imposer quand on est jeune ce genre dépreuve ? D’abord parce que ce n’était pas une épreuve. L’épreuve, ou plutôt mon inquiétude, était de léguer à un pays, le mien, la France. Car je suis née à Paris de parents nés aussi à Paris, ce qui ne les a pas empêché de devoir fuir comme des coupables l’État français pendant la guerre, m’emmenant comme un paquet vagissant avec eux, et que la leçon a porté.

J’aime la France, ma culture est d’ici, mes amis, mon travail, mon entourage, les miens sont d’ici, mais les autres sont d’Israël. Et pourtant, très jeune, je savais que ma vraie patrie, celle qui me sauverait, qui me rendrait encore plus fière si c’était possible, d’être née juive, c’était Israël.
Bien sûr, comme tous les amours il lui arrive de me décevoir, de me contrarier, et alors ? En quoi suis-je validée pour critiquer un pays où je ne vis pas, et à qui je ne donne pas ma force de travail ?

Car voilà où le bât peut blesser. Nous avons choisi, nous Juifs de la diaspora, le confort. Confort après la tourmente où nous avons été laissés seuls face à l’horreur nazie, sauf par des amis trop peu nombreux. Ensuite, bonheur et soulagement de retrouver la paix, de reconstruire sa vie avec ceux qui nous sont restés. Même situation pour les Juifs de l’Est ou du Sud, de l’Ouest ou du Nord. Précarité, vigilance et alerte permanente suivant les changements de l’Histoire sont notre lot.

J’ai participé physiquement à plusieurs événements d’Israël où le sentant en danger je ne pouvais plus rester ici. Mais j’ai eu aussi la joie de pouvoir le rencontrer pour la première fois en juin 1967, quand son armée de héros l’a sauvé.
Paris Match a fait de mon récit sa 4e de couverture comme étant le plus beau jour de ma vie. Je me souviens des files d’attente à l’Agence juive pour partir les aider dès la fin mai. Je me souviens des commentaires si admiratifs, si enthousiastes de Julien Besançon reporter sur Europe 1.

Je me souviens des titres dithyrambiques des journaux.
Je me souviens du soutien du peuple français.
Et pourtant, il y avait eu De Gaulle et « son peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Et De Gaulle n’était pas notre pire ennemi, même s’il avait conseillé à Abba Eban de ne pas agir, au mépris de toutes les stratégies salvatrices pour un petit peuple assiégé par bien plus grands et forts que lui, et qu’aidait tout le bloc communiste.

C’est ce que j’appelle les leçons de l’Histoire. En 1938, on ne savait pas encore, on pouvait croire que jamais l’Europe, mais aussi les États-Unis avec leurs quotas réduits de réfugiés fuyant le nazisme, détourneraient les yeux de la tragédie qui se préparait.

Et pourtant, Roosevelt était-il antisémite ? Peut-être, tout au moins indifférent. Chamberlain ? Peut-être autant que stupide, et… indifférent. Staline ? On sait ce qu’il est advenu des Juifs sous Staline. Daladier ? Plus ligoté que mauvais par les forces négatives de notre pays. Et puis, ici il y eut Pétain. Et je ne dis rien des nations de l’Est. La Pologne, l’Ukraine, la Hongrie, la Roumanie, la Lituanie, la Croatie, et j’en oublie. Mais je n’oublie pas leur attitude.
Et c’est parce que j’ai de la mémoire, parce que je n’ai pas besoin de refaire deux fois la même erreur, parce que j’ai perdu trop de monde, que je veux aider de toutes mes forces ce pays de miracles qui par son histoire et la mienne est aussi le mien.

Je ne suis pas croyante et je ne crois pas aux miracles. Mais quand en juin 1967, j’ai débarqué du bateau le Moledet avec l’orchestre du bord jouant la Hatikva, les officiers en blancs, figés au garde à vous, les bateaux pompes du port de Haïfa venant nous accueillir avec leurs sirènes et leurs jets d’eau, quand j’ai vu des éboueurs et des dockers sur les quais, des femmes flics, quand j’ai mis le pied sur la terre de mes ancêtres, et qu’ensuite je suis allée au Mur où j’ai vu nos soldats pleurer de bonheur et de fierté, et que pendant deux mois, j’ai suivi l’armée des vainqueurs après avoir formé un groupe de chanteurs parisiens dont notre plus gros succès a été la chanson le « Déserteur » de Mouloudji, que j’ai vécu au milieu de ces soldats tellement respectueux de nous, que j’ai vu leurs familles leur envoyer ce qu’elles avaient de meilleur, des fruits frais en plein désert, les boissons qu’ils aimaient, les gâteaux de leurs mères, du linge propre, des lettres par centaines, l’appui et l’amour de tout un peuple, j’ai su qu’à partir de ce moment je serai une inconditionnelle et une amoureuse à vie de ce pays.

Ce pays, j’ai assisté toute gamine à sa naissance au théâtre du Bataclan à Paris en 1947, avec le vote de l’ONU. Je l’ai écrit dans un de mes livres en racontant l’histoire de l’Exodus, Je pars demain
pour une destination inconnue, roman historique de la naissance d’une Nation, du courage indomptable de ces femmes et hommes qui revenant de l’enfer ont trouvé en eux l’espoir et la force nécessaires pour accomplir ce miracle de tenir au bout de leurs bras et de leur courage, ce pays qui guerroie contre ses ennemis depuis soixante-dix ans et est quand même devenu ce qu’il est.
Difficile, improbable, victorieux (car ne pouvant jamais perdre une seule guerre), vaillant, corrompu, hélas, car les hommes, hélas, restent des hommes. Mais ne baissant jamais la tête car comme nous, comme tous les Juifs du monde, ils savent qu’ils appartiennent depuis toujours et pour toujours au Peuple à la nuque raide.
Voilà, pourquoi j’ai fait un testament pour Israël. J’ai un frère qui l’a compris parce qu’il sait mes sentiments. J’ai publié trente-six romans, et dans chacun il y a une forte empreinte juive, parce qu’Israël est le combat de ma vie, et que je suis une combattante. Les journalistes le savent, les lecteurs le savent, mon facebook le sait, mes adversaires aussi, mais aucun ne se permet un mot, parce qu’il sait que c’est à ses risques.
Parce que vous savez mes amis, on tire sur une ambulance mais pas sur un char. Et je voudrais que nous soyons tous des chars et des livres, que nous ayons des pensées et du coeur.
Spinoza et Rabin. Einstein et Golda Meïr. Et garder notre détermination contre tous ceux qui n’ont pas encore compris qui nous étions et qui ne savent rien de l’Histoire du monde.