Jusqu’à la dernière balle !

Le 7 octobre 2023 restera à jamais gravé dans la mémoire de Michal Rahav et de sa famille, marquant le jour où la vie au kibboutz Nirim a changé en une fraction de seconde.
Michal a accepté de partager avec le Keren Hayessod, son expérience terrifiante du tragique massacre qui a ébranlé sa communauté jusqu’alors paisible.

Michal est mariée à Lee et ils ont ensemble trois enfants : Yuval, 15 ans, Noah, 13 ans, Itamar, 10 ans, ainsi que deux chiens. Lee est officier de police dans une unité opérationnelle et sert également en tant que réserviste dans une unité spéciale dans la Division de Gaza. Ils ont emménagé à Nirim il y a environ 5 ans et aiment beaucoup la région, la considérant comme l’une des plus belles d’Israël. Leur kibboutz est à seulement 1 500 mètres de la bande de Gaza.

Michal Rahav déclare : « Avant le 7 octobre, nous avions un sentiment de sécurité à 100%, tant au niveau de la sécurité générale dans la région, que pour notre propre sécurité. Je savais toujours ce que faisaient mes enfants et où ils allaient. Ils étaient en sécurité, heureux et libres.

Précisément parce que nous vivons dans une communauté de kibboutz, nous pensions être en sécurité, car l’armée est constamment présente ici, avec un grand nombre de soldats et toute la technologie imaginable à disposition. Nous étions conscients des tunnels depuis Gaza, et c’était là ma plus grande crainte. Les tunnels, pas les roquettes ni les bombes, ni même le fait de vivre si près de la frontière, juste les tunnels, car c’est effrayant de ne jamais savoir quand les terroristes pourraient apparaître. Mais l’histoire nous a appris que s’ils viennent, c’est seulement en petit groupe, et ils visent surtout les soldats, car ils sont plus précieux à capturer que les civils. »

Le 7 octobre, tout a changé.

À 6h30 du matin, nous avons été réveillés par les alarmes de nos téléphones. Des tirs retentissaient, les missiles partaient de derrière notre maison en direction de la région de Tel Aviv. Vivre dans notre région développe un sixième sens ; pas toujours, mais vous savez quand une escalade se profile, quand les choses sont un peu tendues, quand il faut être un peu plus prudent. Ce week-end-là, nous n’avons rien ressenti du tout.

Quand tout a éclaté, nous étions tous chez nous car c’était un jour férié. Nous avons couru vers la chambre sécurisée(Mamad). Nous avons immédiatement compris que c’était quelque chose de plus grave. C’était différent des autres attaques que nous avions connues, car les explosions ne s’arrêtaient pas ; il n’y avait pas de pause. Les explosions continuaient sans relâche, les raids aériens ne s’arrêtaient pas.

La chambre de ma fille aînée est notre chambre sécurisée. Nous nous y sommes réfugiés avec nos chiens. Mon mari, réserviste, enfile son uniforme, prend ses armes et se prépare à être appelé en service. Il tente en vain d’appeler son commandant, sans succès.

À ce stade, nous ne savons pas encore qu’il y a des terroristes dans le kibboutz. Nous pensons seulement que ce sont des roquettes et des bombes. J’ai établi une liste sur un tableau, disant à mes enfants ce qu’ils doivent emballer, quand et si nous devons évacuer. Mais cette fois-ci, nous n’avons pas le temps, et je réussis seulement à dire :  » Habillez-vous, mettez vos chaussures « .

Mon mari essaie de comprendre ce qui se passe. À un moment donné, je quitte à nouveau la chambre sécurisée pour aller dans notre chambre, pour  commencer à nous habiller, et nous entendons des coups de feu très près de nous. Nous nous regardons, essayant de comprendre ce que c’est. Peut-être l’armée, mais pourquoi l’armée tirerait-elle ainsi dans le kibboutz ? Quelques secondes passent et nous entendons des cris en arabe, comprenant alors que nous avons maintenant des terroristes dans le kibboutz.

J’agis complètement par réflexe. Je cours vers la chambre sécurisée. Mon mari, en tant que policier, a tout l’équipement à la maison. Nous avons plusieurs caches d’armes dans la maison. Je donne du gaz au poivre à ma fille aînée, une matraque à ma deuxième fille, et un casque à mon fils. Je ne leur dis pas qu’il y a des terroristes ici, mais je leur dis que quoi qu’il arrive, nous allons devoir combattre, et nous allons combattre.

Jusqu’à la dernière balle.

Nous entendons maintenant des tirs à l’intérieur de notre maison, juste à l’extérieur de la salle de sécurité. Mon mari entre, ferme la porte et dit qu’il vient de tirer sur un terroriste qui essayait d’entrer dans la maison. Il n’a pas fini de nous raconter cela que les terroristes commencent à tirer, puis il y a une explosion. Nous sommes projetés en arrière et toute la pièce est remplie de fumée. Bien sûr, l’électricité est coupée. Je me lève, mon mari me remet un pistolet. Nous nous regardons et nous savons que nous devons combattre.

Je dis aux enfants que tout ce qui passe par la porte est est synonyme de mal. Nous combattons. Soit nous mourons, soit nous sortons d’ici vivants. Mais nous ne serons pas des otages. Et mon mari dit :  » Si nous n’y arrivons pas, tu sais que je t’aime. Mais nous devons y arriver et mourir n’est pas une option. « 

Les enfants sont complètement immobiles, ils ne bougent pas. Ils sont allongés par terre avec leurs gilets pare-balles. Mon mari et moi nous disons que maintenant, nous combattons. Il y a un dicton  » Jusqu’à la dernière balle « . Je l’ai maintenant tatoué sur ma main. Il est écrit en hébreu  » Jusqu’à la dernière balle  » et puis la date.

Dans la chambre sécurisée, il y a une fenêtre bloquée par un volet métallique. Soudain, nous entendons des tirs contre la fenêtre. Plus tard, nous comprenons que c’était une sorte de tactique que les terroristes utilisaient, car ils savaient que les gens sortiraient pour s’échapper, et alors ils tiraient sur ceux qui essayaient. Mais nous sommes restés.

Les terroristes continuent leur avancée.

Aussi soudainement que cela a commencé, tout s’arrête. Les terroristes ont décidé de continuer leur chemin, je ne sais pourquoi…  Tout devient silencieux, et je prends mon téléphone. J’ouvre le groupe WhatsApp du kibboutz et je préviens les gens que des terroristes ont attaqué notre maison, qu’ils ont tiré et lancé des grenades antichars sur notre maison, c’est pourquoi nous avons besoin d’aide. Envoyez quelqu’un. Où est l’armée ? Personne ne sait. Nous ne comprenons pas ce qui se passe. Nos amis, nos voisins disent simplement : « Nous les entendons ici, nous entendons des cris ici, nous entendons des tirs, attendez, nous les entendons dans la maison. Attendez. »

Ma maison est en feu. La fumée pénètre dans la chambre, mon mari et moi sommes assis depuis 8 heures, pointant nos armes vers la porte parce que nous ne savons pas si les terroristes reviendront ou non. On se sent si impuissant. Mon mari reçoit constamment de nombreux messages de personnes dans le kibboutz demandant : « Viens nous aider, viens nous aider. » Et il ne peut pas, car nous ne savons pas ce qui nous attend à l’extérieur.

Libérés par l’armée.

Cela continue jusqu’à environ 15 heures, quand l’armée israélienne vient enfin et nous libère. Ils disent que les opérations de sauvetage ont commencé et qu’ils vont nous appeler par notre nom de famille. Nous reconnaissons la voix du chef de la sécurité du kibboutz qui est avec eux.

Nous quittons la pièce et je vois que toute la maison est détruite. En fait, la chambre de mon fils est la plus touchée, complètement détruite. Il est très choqué. Il adore peindre, et tous les murs étaient décorés de ses tableaux. Tout est par terre et détruit. Les soldats disent que nous n’avons pas le temps de rester. Nous devons partir maintenant parce que nous ne savons pas si les terroristes sont toujours là. Les soldats n’ont pas encore complètement sécurisé le kibboutz.

Je n’ai donc pas le temps de comprendre ce qui s’est passé dans ma maison. Je donne simplement de l’eau aux soldats. Je ramasse la coupe de Kiddush que ma grand-mère nous avait achetée. Je prends mes enfants et les chiens, et nous partons. Mon mari est également avec nous, et les soldats nous conduisent au centre communautaire, qui est un peu plus protégé.

Les voisins ont été gravement touchés.

Mon mari rejoint l’armée et parcourt le kibboutz pour aider les gens. Dans de nombreux cas, il doit convaincre les gens que c’est bien lui et qu’ils peuvent sortir en toute sécurité. Il est maintenant le soir, et il s’avère qu’il y a des victimes. Des résidents qui vivent à deux rangées de maisons de la nôtre ont été assassinés, un père et une fille dans leur maison. Un autre résident a tué un terroriste dans sa maison. Les voisins à droite ont été kidnappés. Il y a beaucoup de maisons incendiées. Nous commençons à comprendre que c’est quelque chose d’étendu. Cela s’est produit dans toute la bande de Gaza. Nous apprenons que les terroristes ont pris le contrôle de deux villes à seulement 10-15 minutes de chez nous, ce qui est incompréhensible. Comment ont-ils pu réussir ?

Mais où était l’armée ?

Il est devenu évident que la première vague d’attaque avait mis l’armée hors jeu. Cela explique pourquoi mon mari n’a pas pu contacter qui que ce soit. Au fil des heures, de plus en plus de personnes se joignent à nous. Tout le monde est silencieux, pleure, tremble, se serre dans les bras, essayant de comprendre ce qui s’est passé. À un moment donné, on nous dit que nous devons nous séparer car il y a trop de monde réuni au même endroit. Les attaques constantes de roquettes en provenance de Gaza continuent.

À midi le dimanche, on nous rassemble à nouveau et on nous dit que chacun a 10 minutes pour rentrer chez soi récupérer quelques affaires, suivi des soldats. Mon mari et moi retournons également à la maison, mais il n’y a rien à sauver. Je pense simplement aux deux photos que mon beau-père a prises de mon mari et de ma fille avant de mourir. Je les ai retirées du cadre. C’était la seule chose que nous avons prise.

Évacuation en convoi.

Après quelques heures, nous sommes évacués dans un long convoi de voitures et d’autobus. Beaucoup n’ont pas leur voiture car elles ont été incendiées par les terroristes. Ma voiture a aussi beaucoup d’impacts de balles, mais elle peut rouler. Nous décidons de la prendre parce que nous avons les chiens. Il est un peu difficile de les transporter en bus car ce sont de gros chiens. Je dois mettre une couverture sur la banquette arrière car elle est pleine de verre brisé, et on dit aux enfants de rester assis pour ne pas se couper. Nous remettons les gilets pare-balles et à côté de moi, j’ai mon arme. La zone n’est pas complètement sécurisée et il s’avère qu’il y a des terroristes tout autour. En conduisant, nous voyons des voitures en feu, des voitures criblées de balles, avec des corps qui pendent par des portes à moitié ouvertes, et des corps simplement allongés sur la route. Tout est brûlé. Et il y a cette odeur de guerre dans l’air. Des roquettes et des bombes sont constamment tirées. Cela ne s’arrête pas. Nous arrivons à Be’er Sheva et faisons une pause, maintenant nous sommes assez loin. Nous arrêtons la voiture et là, nous nous effondrons tous les deux. Je serre mes enfants dans mes bras et nous ne comprenons rien. C’est complètement fou.

À l’hôtel à Eilat.

Nous reprenons la route, direction Eilat. La direction du kibboutz nous dit que tout le monde doit rester dans un hôtel à Eilat. En chemin, nous appelons nos familles et leur disons que nous sommes en sécurité. Et bien sûr, nos familles se brisent aussi. Elles ont été incroyablement inquiètes. Depuis lors, nous sommes à Eilat dans un hôtel, en tant que réfugiés dans notre propre pays.

Ici, à l’hôtel, nous avons deux chambres, mais nous dormons ensemble, ainsi nous nous sentons plus en sécurité. Mon mari a dû retourner dans son unité mais viend nous rendre visite brièvement. Principalement la nuit. En bas, dans le sud d’Israël, il y a aussi des alertes aux raids aériens. Il s’agit de roquettes venant du Yémen et de la mer Rouge.

Le jour même de notre arrivée à Eilat, il y a des travailleurs sociaux, des psychologues et des thérapeutes qui viennent à l’hôtel, et ils sont là depuis. Ils s’occupent de tout le monde.

Le traumatisme du 7 octobre.

Lorsque tout cela sera terminé, nous aimerions retourner au kibboutz. Je pense particulièrement à ma fille toujours active pour Yom Hashoah, le Jour du Souvenir de l’Holocauste. C’est une journée on nous écoutons toujours les survivants raconter leur histoire de l’Holocauste, mais dans dix ans, je serai l’une des survivantes du 7 octobre, qui racontera son histoire. Comment cela a-t-il pu arriver ? Nous espérions que cela ne se reproduirait jamais. Nos enfants ont perdu une partie de leur foi enfantine. Ils ont dû enterrer leurs camarades de classe et leurs enseignants d’école. Ils savent que nous devions avoir des armes pour nous protéger. Ils pensaient qu’ils allaient se battre pour leur vie. Oui, c’est une situation très, très inhabituelle. C’est la guerre. C’est un massacre. C’est plus qu’un massacre.

Ole Konstantyner, Keren Hayesod, 14-11-2023

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