L’Islande est 25 fois moins peuplée qu’Israël. C’était le dernier pays européen sans rabbin, mais depuis mars de cette année, grâce au travail pionnier du Chabad qui a ouvert un centre à Reykjavik en 2018, le judaïsme y est  reconnu comme une des religions nationales. Le maire de la ville, Dagur Eggertson, assistait souriant à la fête organisée à cette occasion. Le même maire avait présidé en 2014 au vote par lequel la cité décidait de boycotter tous les produits d’origine israélienne, je dis bien israélienne et pas des « territoires occupés». A la suite des protestations, notamment d’un article de Yair Lapid qui lui enjoignait sarcastiquement d’interdire la vente des ordinateurs, des téléphones portables et des stimulateurs cardiaques tous remplis de composants israéliens, la mairie a reculé, mais le ton était donné. L’Islande est souvent à la pointe de l’activisme anti-israélien.

Il y a pourtant entre l’Islande et Israël bien des analogies.
1°Une langue reliquaire, trésor  national chéri par les habitants, avec une riche littérature contemporaine et surtout la capacité de lire sans difficulté les trésors de la littérature du Moyen Age. C’est dans les sagas islandaises, décrivant la mythologie des peuples germaniques, bien qu’écrites en général par des auteurs chrétiens, que certains romantiques  allemands ,et Wagner en particulier, ont trouvé les éléments d’une sorte de contre-Bible qui, plus tard, a fait fantasmer les nazis. Le crépuscule des Dieux s’appelle Ragnarokdans les sagas islandaises.
2°Un fort sentiment identitaire alimenté en Islande non par un particularisme religieux -la population est entièrement luthérienne- mais par l’isolement géographique et par une histoire extrêmement difficile. Placée pendant six siècles sous  domination danoise, l’Islande a déclaré son indépendance en 1944, 4 ans avant Israël, dans un contexte marqué par la présence des Américains et avant eux des Anglais, qui dans une initiative churchillienne remarquable y avaient envoyé des soldats en mai 1940, alors que les Allemands venaient d’occuper le Danemark et la Norvège et menaçaient le trafic maritime.
3°Un besoin de puiser dans l’ingéniosité intellectuelle des ressources permettant de surmonter une nature hostile : par leur désolation, certains paysages islandais font penser au Negev. L’Islande, qui était très pauvre est aujourd’hui un pays riche, malgré les soubresauts violents de la crise des surprîmes. Le coup de pouce initial est provenu d’un Plan Marshall particulièrement généreux pour ce pays devenu important par sa localisation dans le conflit Est-Ouest.
4° On pourrait pousser l’analogie encore plus loin, : la terre d’Israël a joué dans l’histoire un rôle disproportionné à son importance économique ou stratégique. Mais l’Islande aussi, ce qui est beaucoup moins connu, et je ne parle pas ici de la découverte de l’Amérique par des Islandais établis au Groenland. Si Jérusalem est un point chaud de l’histoire mondiale, l’Islande est à coup sûr un point chaud de la tectonique des plaques. L’éruption d’un volcan islandais en 1783 a provoqué  un assombrissement prolongé du ciel européen qui a déclenché  une série de mauvaises récoltes d’où est directement issue la Révolution française. Et si en 2010, l’éruption de l’Eyjafjallajökull a perturbé le trafic aérien, ce n’était qu’un épiphénomène par rapport à la catastrophe qui pourrait survenir dans ce pays aux trente systèmes volcaniques en activité. La grande destruction ne surviendra pas forcément en Israël, à Armageddon, aujourd’hui Megiddo, mais peut-être en Islande….
Pour en revenir à des considérations moins apocalyptiques, et en rappelant que l’influence de ce tout petit pays est insignifiante, que ses initiatives n’ont habituellement aucune conséquence pratique, qu’elles ne demandent pas la destruction de l’Etat d’Israël et qu’elles proviennent souvent de citoyens sans responsabilité politique, comment se fait-il que l’Islande apparaisse si souvent non seulement à la pointe de l’hostilité anti-israélienne mais aussi des pratiques du judaïsme ? Réclamations très anciennes en faveur d’un état palestinien et du retour sur les frontières de 67, critiques de toutes les réactions défensives israéliennes, demandes d’interdiction de la circoncision ou de l’abattage rituel ou protestations de chanteurs islandais à l’Eurovision de Tel Aviv….
Il ne s’agit pas de l’influence des vieux mythes germaniques mis à la sauce nazie. Il ne s’agit pas uniquement non plus du vieux fond anti juif du luthéranisme qui, en dehors de certaines personnalités admirables  mais minoritaires, a favorisé le développement de l’hitlérisme. Il faut rappeler que les pays scandinaves aussi avaient tout fait avant la guerre pour repousser l’arrivée de réfugiés juifs sur leur territoire et  ce fut le cas de l’Islande, à son modeste niveau. 
Peut-être le remords de leur xénophobie à cette époque a-t-il poussé les églises luthériennes d’aujourd’hui à se tenir à la pointe du combat antisioniste. Malheureusement et comme par hasard, cela concerne une fois de plus des Juifs…
Mais il y a dans la représentation que les islandais se font de leur histoire deux caractéristiques qui me paraissent jouer un rôle encore plus déterminant. 
La première est que l’Islande est une terre isolée, jamais habitée, jamais conquise,  un trésor qui est d’ailleurs par son homogénéité ethnique et sa connaissance de la généalogie un trésor pour les spécialistes de génétique des populations. Cette référence résonne bien avec l’invocation, historiquement absurde d’ailleurs, d’un peuple palestinien  originel. 
L’autre caractéristique est que le passé de l’Islande est une histoire tragique, pleine de famines, de misère et de mépris sous l’exploitation économique impitoyable du suzerain danois. Cela sensibilise à la présentation que font les militants pro-palestiniens du soi-disant apartheid et de la colonisation israélienne. 
De ce point de vue l’Islande est très proche de l’Irlande, l’autre pays profondément anti-israélien de l’Europe d’aujourd’hui.  Bien sûr, il y a des différences. Le conflit entre catholiques et protestants irlandais n’a pas son équivalent en Islande et d’autre part, la mémoire partagée entre l’Irlande et la Grande Bretagne reste couverte de sang, alors que la séparation progressive et pacifique entre l’Islande et le Danemark a permis un sentiment unitaire scandinave. 
Mais fondamentalement, le contexte psycho historique est le même, le sentiment d’avoir été un pays opprimé et méprisé en lutte pour sa dignité. Cette fibre victimaire joue à fond contre Israël avec le succès que l’on sait. 
Il est important d’en démonter le mécanisme et les amalgames sur lesquels il repose. Et c’est pourquoi les relations  d’Israël avec l’Islande ne sont peut-être pas aussi insignifiantes qu’on pourrait le penser.

Dr Richard PRASQUIER

Président d’honneur du Keren Hayessod France

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